Cannabis et Chanvre en Thaïlande : Entre Révolution Législative et Enjeux Sanitaires

Image Cannabis Act 2024 avec in drapeau thaïlandais

1. Contexte et Révolution Légale

La Thaïlande, connue autrefois pour sa politique de tolérance zéro en matière de drogues, a marqué l’histoire en devenant en juin 2022 le premier pays asiatique à dépénaliser le cannabis. Ce changement de cap radical intervient dans un pays où la possession de cannabis pouvait autrefois conduire à la peine de mort pour trafic. Cette réforme, saluée par certains comme progressiste, a cependant généré une série de conséquences complexes, tant sur le plan économique que sanitaire.

Retour sur l’avant 2022 : Répression et tabou

Depuis les années 1930, le cannabis était classé parmi les stupéfiants de catégorie 5, et sa possession ou son trafic étaient sévèrement réprimés. Le chanvre, malgré ses faibles niveaux de THC, était également largement prohibé en raison de sa ressemblance avec le cannabis.

Un premier assouplissement est survenu en 2018, lorsque le cannabis médical a été légalisé dans des conditions très encadrées, ouvrant la porte à des traitements à base de CBD. Toutefois, la culture privée et l’usage récréatif restaient strictement interdits.

2. La Dépénalisation de 2022 : Une Nouvelle Ère

Le 9 juin 2022, le gouvernement thaïlandais a officiellement retiré le cannabis de la liste des substances narcotiques. Cette mesure a provoqué la libération de plus de 4 000 détenus et a ouvert les portes à un nouveau marché encore peu régulé.

Effets immédiats : une explosion commerciale

  • Prolifération des dispensaires : Plus de 6 000 points de vente ont émergé en quelques mois, souvent sans différenciation entre usages médicaux et récréatifs.
  • Cadre légal flou : Bien que les produits transformés soient limités à 0,2 % de THC, cette restriction ne s’applique pas aux fleurs, créant un vide réglementaire.
  • Encadrement insuffisant : En l’absence de lois précises, la consommation a largement débordé les intentions initiales du gouvernement.

3. Des Enjeux Multiples : Santé, Image et Régulation

3.1. Santé publique en alerte

  • Augmentation notable des cas d’intoxication et de troubles psychotiques liés à la consommation de cannabis, particulièrement chez les jeunes et les touristes.
  • Des hôpitaux signalent une hausse des admissions aux urgences pour surconsommation, panique, et psychoses induites (Dr Kiattiphum Wongrajit, ministère de la Santé publique).

3.2. Image du pays en question

Le Premier ministre Srettha Thavisin a exprimé son inquiétude face à la réputation naissante de la Thaïlande comme “capitale asiatique du cannabis”, incompatible avec son ambition de positionner le pays comme destination familiale (Reuters).

3.3. Non-respect des restrictions

  • Usage en public, ventes à des mineurs et publicité illégale se poursuivent faute de contrôles suffisants.
  • L’application laxiste de la loi alimente l’essor d’un tourisme du cannabis non encadré.

4. Vers une Réforme : Le Cannabis Act 2024

Face aux dérives observées, le gouvernement thaïlandais envisage un retour à un encadrement plus strict :

  • Réinscription du cannabis comme stupéfiant, à l’exception des usages médicaux et de recherche.
  • Introduction de licences obligatoires pour toutes les étapes de la chaîne : culture, transformation, exportation, vente.
  • Obligation possible d’ordonnance médicale pour l’achat.

Ce projet de loi devrait également inclure des sanctions renforcées pour les contrevenants, une surveillance accrue et une distinction claire entre usages thérapeutiques et récréatifs (Belaws).

Les Autorités Responsables de la Régulation

Le cadre réglementaire thaïlandais repose sur plusieurs agences gouvernementales :

  • Ministère de la Santé Publique (MoPH) : Il élabore les politiques générales de santé, y compris les lois encadrant l’usage du cannabis. Le MoPH est actuellement en train de finaliser un cadre législatif plus précis dans le cadre du Cannabis Act 2024. (Site officiel du MoPH)
  • Thai Food and Drug Administration (Thai FDA) : Sous l’autorité du MoPH, la FDA thaïlandaise est l’organisme central chargé de la délivrance des licences (production, importation, exportation, vente) et du contrôle post-commercialisation des produits à base de cannabis, notamment médicaux et industriels. (Site officiel de la Thai FDA)
  • Office of Narcotics Control Board (ONCB) : Bien que le cannabis ne soit plus classé comme stupéfiant de catégorie 5, l’ONCB intervient toujours, en particulier pour contrôler les extraits contenant plus de 0,2 % de THC.

5. Un Marché en Pleine Croissance

Malgré ces défis, l’industrie cannabique thaïlandaise est en pleine expansion.

5.1. Données économiques

  • En 2024, le marché du cannabis légal était estimé à 1,31 milliard USD.
  • Il pourrait atteindre 7,1 milliards USD d’ici 2030 avec un taux de croissance annuel de 33 % (Grand View Research, Research and Markets).

5.2. Produits disponibles

  • Fleurs : Produits les plus visibles, consommés par inhalation.
  • Comestibles : Bonbons, boissons, pâtisseries, sous limite de 0,2 % de THC.
  • CBD : Huiles, crèmes, capsules à visée médicale ou bien-être.
  • Chanvre industriel : Textiles, matériaux de construction, alimentation.

5.3. Exportation : Un potentiel sous conditions

  • Le chanvre (fibres, graines, CBD) présente un fort potentiel pour les marchés nord-américains, européens et asiatiques.
  • L’exportation de cannabis à haute teneur en THC reste limitée à la recherche médicale et nécessite des autorisations bilatérales strictes (SOMAÍ Pharmaceuticals).

6. Conclusion : Une Expérience à Rééquilibrer

La Thaïlande a osé une réforme majeure, positionnant le cannabis comme un levier économique, mais sans cadre suffisamment structuré, elle en subit aujourd’hui les conséquences. Entre volonté de développement et nécessité de protéger la santé publique, le pays se dirige vers une législation plus stricte. Le défi à venir sera de préserver l’innovation et le potentiel économique du secteur tout en régulant fermement ses dérives.

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